gauche débarrassée de ses illusions

Publié le par Annie

gauche débarrassée de ses illusions

La motion de censure déposée contre l'actuel gouvernement, la première depuis sa prise de fonction, demande à chaque député de reconsidérer son soutien à la politique menée. Elle invite aussi militants et sympathisants, qui ont œuvré à la victoire de la gauche, à réitérer leur confiance en l'exécutif.

La gauche se compromet ? Non, elle se purifie.

Aux premiers abords, le tableau est des plus sombres. Nous connaissons une croissance atone. Le chômage continue d'augmenter. Les impôts sont à la hausse. Le déficit se réduit moins vite que souhaité. Pire, nombreux sont ceux à considérer que la gauche se compromet : elle ne nationalise pas, ne "dé-mondialise" pas, ne dépossède pas la classe dominante au profit de la classe dominée. Elle aurait trahi.

Mais après tout, ce changement d'attitude n'est-il pas salutaire ? La gauche de gouvernement ne serait-elle pas en train d'écarter les illusions d'une certaine gauche ? Des illusions qui détournent un très grand nombre d'électeurs et s'assurent du succès répété de la droite, quand la gauche n'accède que rarement, et avec peine, aux responsabilités.

Certes, l'espoir du 6 mai 2012 n'est plus. La joie d'un retour de la gauche au pouvoir s'est dissipée. Mais peut-on aimer la gauche seulement quand elle nous berce de ses promesses infondées ? Ne serait-ce pas chérir un enfant imaginaire, qui ne pleure pas, ne tombe pas malade, ne se plaint jamais ? Et délaisser ses propres enfants et leurs nombreuses aspérités.

Après tout, en accédant au pouvoir, la gauche ne se serait-elle pas purifiée ? Après d'étonnantes tergiversations, elle a rejeté la nationalisation d'un site d'ArcelorMittal et a ainsi mis fin au discours délirant du chantre de la "dé-mondialisation". Elle réhabilite la TVA sociale, une idée de gauche qui n'a pris une coloration droitière que par son adoption par Nicolas Sarkozy. Elle vient de changer son discours sur les retraites, qui conduisait à la perte du système par répartition, qu'elle entend pourtant défendre.

La gauche s'embellit d'un cadre d'action plus moderne et plus individualisé

Tout en se délestant de ses errements, la gauche vient d'entamer l'édification, sans en être tout à fait consciente, d'un cadre d'action moderne. Les principaux piliers en sont l'institutionnalisation de l'apport de la société civile, l'orientation des services publics autour des besoins des usagers, et l'individualisation des politiques publiques. Des positionnements à l'opposé d'une droite profondément conservatrice.

La place donnée au dialogue social est un des changements d'approche les plus singuliers. Voici que la gauche ne perçoit plus la conquête de droits sociaux comme émanant seulement de l'État, seul à même de faire plier le patronat. Elle commence, même timidement, à gouverner en consultation avec la société civile, quand d'autres jetaient leur opprobre sur les corps intermédiaires.

Le programme de modernisation de l'action publique (MAP), qui remplace la RGPP, met les usagers au cœur des politiques publiques. C'est de leurs besoins réels et estimés que doivent être évaluées et réformées ces politiques. L'État n'est ni un glouton dépensier qu'il faut liquider, ni un bienfaiteur qui ne saurait être remis en cause. Il devient un instrument au service de chacun.

Enfin, on ne peut que se réjouir d'une individualisation des politiques publiques, seule à même d'apporter des solutions à des défis de plus en plus multiples et hétérogènes. L'ouverture du mariage à une partie restreinte de la population en est le symbole. Mais on pourrait également citer l'expérimentation des "salles de shoot" destinées à s'assurer que les drogués n'hypothèquent pas un peu plus leur avenir en ajoutant la maladie à l'addiction. Ou encore la future réforme judiciaire qui devrait mettre fin au tout carcéral, "ces moments où la pénalité prononce un naufrage" et où la société "consomme l'irréparable abandon d'un être pensant", selon les mots de Victor Hugo (Les Misérables).

Sans idéal, la gauche en danger

Plutôt que de déplorer les changements d'attitude de l'actuel gouvernement, on devrait s'en réjouir. La gauche se débarrasse de ses illusions, tout en esquissant une action publique plus moderne et plus individualisée.

Toutefois, cette gauche qui se réforme sans base idéologique est fragile. Il lui manque une vision. En sombrant dans ses illusions, elle a perdu tout idéal. Celles-ci évanouies, la voici à nue. Elle est en danger. Son attirance actuelle pour l'autorité ne présage rien de bon. On ne peut se satisfaire que l'homme préféré des sondages représente l'ordre établi, la police, le démantèlement des camps de Roms. Il n'y a pas si longtemps, on lui aurait jeté des pavés. Voici qu'on lui envoie des roses.

La gauche est au croisement de deux chemins : se réconforter dans l'ordre et l'autorité, chute inéluctable vers l'abîme conservatrice. Ou ébaucher son futur dans une nouvelle façon de concevoir l'action publique avec le bonheur de chaque individu comme seule boussole. C'est assurément cette dernière voie qu'il lui faut emprunter. Avec notre soutien

Publié dans libre expression

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